Né dans une famille de forestiers landais, Yves Saint-Jours
n’a suivi qu’un enseignement primaire conclu par le CEP
avant d’accompagner son père qui dirigeait une petite
scierie itinérante à travers les forêts du département.
De santé assez fragile, il lisait déjà beaucoup
et se sentait révolté contre l’exploitation capitaliste.
C’est ainsi qu’il eut entre les mains un numéro
de L’Avant-Garde, le journal des Jeunesses communistes
devenues UJRF, et décida d’adhérer. C’était
à l’automne 1946, au siège départemental
à Dax. Mais c’est dans sa ville natale de Morcenx, une
petite cité ouvrière sur la ligne de chemin de fer Bordeaux-Bayonne
qui comptait quelques élus communistes, qu’il se sentait
intégré. Il prit vite des responsabilités dans
le mouvement communiste, parmi la quarantaine de jeunes militants
ou sympathisants. Sa famille paternelle fut surprise par cet engagement
qui ne correspondait pas aux traditions familiales, mais n’y
fit pas obstacle.
En 1947, avant le congrès départemental de l’UJRF,
il adhéra au PCF sous l’influence d’un instituteur
qui dirigeait la section, un ancien de la SFIO. En vue du 2e Congrès
national de l’organisation de jeunesse, à Lyon en mai
1948, il fut promu au bureau départemental, et Jean Bourlon,
réélu secrétaire fédéral de l’UJRF,
se déchargea sur lui des responsabilités envers la jeunesse.
Parallèlement, il fut successivement membre des comités
fédéraux du PCF des Landes puis, au cours d’un
séjour dans ce département, de la Haute-Garonne.
L’UJRF et le PCF étaient très actifs dans le milieu
de métayers de la région. Ils menèrent une lutte
qui culmina par de très fortes manifestations en 1950 contre
ce système d’exploitation qui touchait les couches les
plus pauvres de la population rurale. L’influence du tribun
paysan Renaud-Jean restait grande dans cette mise en cause du métayage.
La répression se solda par des emprisonnements et deux expulsions
de métayers. Par la suite, les propriétaires acceptèrent
d’appliquer la loi et réorientèrent leurs capitaux
vers des placements plus avantageux qu’un métayage en
fin de course. En tant que militant de la jeunesse, Yves Saint-Jours
suivit alors une école du Parti.
1950, c’était aussi l’année où culminait
la lutte contre la guerre d’Indochine, et celle où Yves
Saint-Jours devait partir à l’armée. Juste avant
cette échéance, au mois d’août, il apprit
que des marins devant partir pour l’Indochine étaient
venus s’entraîner à Mimizan. Toute action prévue
en leur direction avait été annulée à
cause du risque de répression, mais lui décida de passer
outre en distribuant les tracts prévus. Il fut arrêté
l’après-midi, à la plage, alors qu’il était
parti se baigner ; une délégation rassemblée
à l’appel d’organisations proches du PCF parvint
à le faire libérer de la prison de la gendarmerie de
Pontenx-les-Forges (Landes) où il était enfermé.
Il fut ensuite incorporé à Orange, mais sur ses dix-huit
mois de service, il passa cent-vingt jours en prison, dont quarante
au secret au Puget-sur-Argens pour avoir pris la parole aux Assises
pour la Paix du Var, à Draguignan. Il fut ballotté d’un
régiment à l’autre, d’Orange à Bastia
en passant par une unité de chasseurs alpins comme éclaireur-skieur,
alors qu’il n’avait jamais pratiqué le ski ni les
courses en montagne. Entre-temps, il avait été élu
au Comité national de l’UJRF au 3e Congrès national
de Gennevilliers en décembre 1950.
Revenu dans les Landes, et désormais bien connu localement,
il eut des difficultés à trouver du travail. Chargé
par l’U.J.R.F. d’aller aider à la préparation
du festival de la jeunesse à Toulouse, qui s’était
tenu en juillet 1952, lequel se prononça très fortement
pour la libération de Jacques Duclos emprisonné dans
le cadre de l’ « affaire des pigeons ». Admis à
un stage de formation professionnelle pour adultes, il en fut renvoyé
comme élément « perturbateur ». Après
un temps de petits boulots, il fut coopté au bureau national
de l’UJRF en février 1953, et rejoignit Paris pour contribuer
à suppléer les membres élus, qui poursuivis pour
leur opposition à la guerre d’Indochine étaient
en prison ou en fuite. Il y fut confirmé au 4e Congrès
de Montreuil en mai. En avril 1955, au 5e Congrès de l’UJRF,
il n’était maintenu qu’au comité national.
Le 2 mai 1955, il entrait comme aide-comptable à La Vie
ouvrière, l’hebdomadaire de la CGT, alors dirigée
par Gaston Monmousseau. Ce fut le tournant de sa vie. Il entreprit
en cours du soir de préparer une capacité en droit,
puis une licence, et fut alors coopté à la rédaction
juridique qui éditait aussi une revue, devenue par la suite
Revue pratique de droit social. Il fut recruté en
1967 comme assistant à l’Institut des sciences sociales
du travail, dirigé par le professeur Gérard Lyon-Caen.
Au fil des ans, il devint un spécialiste reconnu en droit du
travail, préparant une thèse sur la Sécurité
sociale sous la direction de G. Lyon-Caen. Il publia de nombreux articles
sur le droit du travail dans différentes revues (Droit
ouvrier, Recueil Dalloz, Semaine juridique (J.C.P), Revue de droit
sanitaire et social, etc.), et des livres parmi lesquels un Traité
de la Sécurité sociale publié sous sa direction.
La thèse soutenue en 1971 et il prépara l’équivalence
de l’agrégation par la voie longue, après un échec
au concours classique. G.Lyon-Caen lui proposa de le remplacer au
bureau de l’Institut européen de Sécurité
sociale qu’il avait contribué à fonder à
Bruxelles. A partir de 1972, il occupa un poste de maître-assistant
à l’Université de Paris 1, enseignant à
l’U.E.R Travail et études sociales. Après avoir
subi un échec au concours de recrutement des professeurs de
droit à la voie longue en 1981, il fut admis en 1985 et nommé
professeur de droit privé, chargé du droit social à
l’Université de Perpignan. Il occupa son poste jusqu’à
la retraite en 1999, restant ensuite professeur émérite.
Entre temps il avait créé La Revue d’économie
sociale (1984-1992).
Il acquit une réputation internationale par sa participation
à de nombreux colloques notamment en Allemagne (1978, 1985,
1993, 1997), Autriche (1987), Espagne (1983), Grèce (1988),
Angleterre (1973, 1992), Belgique (1985, 1986), Pays-Bas (1969, 1982),
Italie (1974, 1991), Irlande (1977), Venezuela (1985), Tunisie (1989),
Corée (1994), Israël (1995), Argentine (1998) et Canada
(1999). En tant qu’universitaire, il séjourna dans trois
pays de l’Est : la Pologne, la Yougoslavie et la Hongrie.
Pendant tout ce temps, il continuait à militer au Parti communiste,
membre de la Commission des questions sociales auprès du Comité
central de 1984 à 1986, sous la responsabilité de Claude
Poperen et de Yann Viens, et membre du bureau de la cellule de l’Université
de Perpignan. Il est toujours membre du PCF en 2011, n’ayant
jamais ressenti de désaccords profonds avec son parti, mais
il n’assure plus de responsabilité particulière,
seulement des collaborations ponctuelles. Il occupe une partie de
sa retraite à écrire ses mémoires dont le titre
sera Au Fil des luttes sociales : du prolétariat forestier
au professorat d’université.
Yves Saint-Jours s’est marié en mai 1955 avec Jacqueline
Piva, elle aussi militante du PCF. Le couple a eu trois enfants, des
petits-enfants, et est resté fixé dans les Pyrénées-Orientales.
ŒUVRES
(choix) : La Faute dans le droit général de la sécurité
sociale, Thèse d’État, université
de Paris 1. Préface de Gérard Lyon-Caen. LGDJ, 1972,
tome XVI de la Bibliothèque de droit social ; Le Droit
pénal de la sécurité sociale, PUF, 1973
; Le Syndicalisme dans la fonction publique, La Documentation
française, 1975 ; Le droit du travail dans le secteur public,
LGDJ 1977 réédition 1986, Le Droit de la sécurité
sociale tome I du traité LGDJ, 1980, Les Accidents
du travail en collaboration avec Nicolas Alvarez et Isabelle
Vacarie tome III du traité LGDJ, 1982, La Mutualité,
en collaboration avec Michel Dreyfus et Dominique Durand, tome V du
traité LGDJ, 1990. De nombreux articles dans de multiples revues
: Dalloz, Droit social, Droit ouvrier…
SOURCES
: L’Avant-Garde, n°323, 3 janvier 1951 ; n°444,
3 juin 1953 ; n°2 nouvelle série, 24 avril 1955. —
Entretien téléphonique avec l’intéressé,
précisé par message électronique, février-mars
2011. — Entrevue, 1er juillet 2011.
Marc Giovaninetti,
Miquèl Ruquet